De nombreux Maghrébins diplômés quittent la France pour trouver un avenir prospère

Ces citoyens, qu'ils soient banquiers, fonctionnaires, professeurs ou autres, expriment leur malaise face à la méfiance qu'ils ressentent envers eux, surtout depuis le 7 octobre 2023. Ils critiquent vivement une atmosphère étouffante, un sentiment d'être stigmatisés ou encore un profond sentiment de gâchis.

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4/18/20248 min read

Dans un article publié par Le Monde, le média a recueilli plusieurs témoignages mettant en lumière la tendance croissante de nombreux Maghrébins à quitter la France pour retourner dans leur pays d'origine ou à s'installer dans des pays anglo-saxons, en raison du climat hostile envers les musulmans et la diaspora maghrébine.

Ils ne se connaissent pas, mais partagent les mêmes sentiments de désarroi, d'impuissance, d'amertume, de colère et de tristesse, indépendamment de leur âge ou de leur profession. Qu'ils soient âgés de 30 ans ou de 70 ans, ces citoyens français, bien établis dans leur vie professionnelle, expriment leur désarroi. Ils sont musulmans et Algériens, Marocains, Tunisiens, ce qui, en France, est vécu comme une double peine, surtout depuis le 7 octobre, selon Ismail, 59 ans, un peintre Parisien.

Ils dénoncent unanimement les discours politico-médiatiques intolérables envers les musulmans, décrivant une atmosphère étouffante, un acharnement des pouvoirs publics à leur encontre. Ils déplorent un immense gaspillage et expriment un sentiment de déchirement envers leur pays, la France, qui les a pourtant formés, mais semble les reléguer au statut de citoyens à part. Ils se sentent constamment pointés du doigt, confrontés professionnellement à un plafond de verre.

« Quoi qu’on fasse, quels que soient les efforts fournis, quelles que soient nos compétences, nous sommes assignés à nos origines et à notre identité confessionnelle et empêchés dans nos carrières », souffle Haroun, 52 ans, banquier d’affaires bordelais, diplômé d’une prestigieuse école de commerce, qui estime ne pas avoir eu la carrière qu’il aurait dû avoir.

« Les départs se comptent par milliers »

Certains se sentent émus lorsqu'ils expriment leur attachement à un pays qu'ils aiment mais qu'ils estiment ne pas être aimés en retour, affirme Youssef, 62 ans, fonctionnaire d'État et militant associatif, résidant à Maubeuge (Nord). « Nos parents nous avaient avertis que nous n'étions pas chez nous, mais seulement des invités. Nous avions refusé de les croire. Pourtant, aujourd'hui, nous sommes contraints de reconnaître que nous ne sommes pas considérés comme légitimes en France », ajoute-t-il.

Certains envisagent sérieusement de partir. « Il ne s'agit pas nécessairement de s'exiler dans un pays musulman, mais de choisir un endroit où ils auront les mêmes chances que n'importe quel autre citoyen de compétences équivalentes », observe Hanan Ben Rhouma, rédactrice en chef de Saphirnews, un site d'actualités sur les questions musulmanes. « Si par le passé, certains partaient pour effectuer leur hijra, ce n'est plus ce à quoi nous assistons aujourd'hui : il s'agit désormais d'une émigration discrète de cadres musulmans moyens et supérieurs, qui, confrontés aux discriminations, à la présomption de culpabilité permanente et au plafond de verre, décident avec peine de quitter la France », explique Abdelghani Benali, enseignant-chercheur à l'université Sorbonne-Nouvelle et imam d'une mosquée.

Maroc, Algérie, Tunisie, Emirats, Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni… Chacun d’eux compte, parmi son entourage, des amis ou des membres de leur famille qui ont déjà franchi le pas.

« Il est très difficile de quantifier l’ampleur du phénomène, mais il est certain que depuis quelques années, les départs se comptent par milliers, peut-être même en dizaines de milliers », affirme Julien Talpin, chargé de recherche en science politique au CNRS, dont l’enquête sociologique s’appuie sur un échantillon quantitatif de plus de 1 000 personnes, dont 50 % de bac + 5 au moins. Tous ont quitté la France.

« Quoi que je fasse, je ne suis qu’un Maghrébin de confession musulmane »

Samir a 39 ans, possède un master de sociologie et a travaillé quinze ans dans la fonction publique territoriale, dans le Nord. « J’y croyais à la réussite républicaine, martèle-t-il. J’avais tort, quoi que je fasse, ça n’est jamais assez. Mon nom est sorti dans la presse dans une affaire absurde de soupçons d’“entrisme communautaire” : quand on vit dans les banlieues, les gens pensent qu’on ne fait que foutre le bordel, et quand on en sort, on est suspecté de vouloir “infiltrer” la République. »

Samir en est désormais convaincu : son avenir en France est « fichu ». « J’ai tellement travaillé pour arriver là où je suis. Depuis le 7 octobre, je ne parle plus. On me soupçonne de tellement de choses déjà, je ne veux pas que l’on rajoute “antisémite” à la liste. Tout ça procède d’un climat de merde ! Ma femme est médecin, elle est prête à partir, quatre de ses copines, généralistes et dermatologues, sont parties au Maroc. »

A leurs yeux, 2015 marque le début de la suspicion permanente « de la part des pouvoirs publics, au travail, dans certains cercles amicaux », décrit Ismail ; des injonctions à « s’exprimer contre, être contre », raconte Hanan Ben Rhouma, de Saphirnews ; « condamner dans la seconde haut et fort les attentats, les messages de haine sur les réseaux, le voile, l’Iran, le Hamas ou que sais-je encore », énumère Rachid*, banquier de Bordeaux ; et des justifications incessantes.

Samir n’en revient pas du climat délétère en France, il a presque été contraint de montrer des photos de sa famille pour prouver qu'il n'était pas un "intégriste" : « Vous n’imaginez pas ce que c’est humiliant. »

« Il y a une accélération des départs depuis 2015 avec une montée du sentiment de stigmatisation post-attentats, confirme le sociologue Julien Talpin. De nombreuses personnes avec qui nous avons échangé, plus de 70 %, évoquent des expériences de discriminations directes mais beaucoup parlent d’une atmosphère, d’une ambiance dégradée qui fait peser sur eux une pression permanente qui les pousse à faire attention à tout ce qu’ils font, ce qu’ils disent… »

« Il y a toujours une barrière, mais elle est invisible »

Ahmed partage également la conviction que sa pratique religieuse lui nuit en France. À 52 ans, en tant que cadre dans l'hôtellerie de luxe de la capitale, il ressent de l'amertume. Depuis des années, il observe ses stagiaires qu'il a formés gravir les échelons tandis qu'il reste bloqué. « Il existe toujours une sorte de barrière, mais elle est invisible. Personne ne me dit jamais que c'est à cause de ma religion ou de mes pratiques religieuses », exprime-t-il. « On ne nous traite plus de "sale Arabe" comme dans les années 1970 ou 1980, renchérit Youssef, et personne ne nous insulte de "sale musulman" non plus, ni ne nous agresse ouvertement. Les mécanismes en jeu sont bien plus subtils. » Cependant, les actes de discrimination à l'encontre des musulmans demeurent présents.

« Ce week-end, les mosquées de Valenciennes et de Fresnes-sur-Escaut [Nord] ont été vandalisées. Une mosquée des Vosges a également été visée. Je condamne fermement ces actes inacceptables contre nos compatriotes musulmans », a déclaré le 30 mars Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, alors qu'une enquête pour « provocation à la haine raciale » était ouverte à la suite de la découverte d'une tête de sanglier près d'une mosquée à Contrexéville (Vosges). Le service statistique de Beauvau ne fournit aucun détail sur le nombre d'incidents enregistrés. « Tout cela crée une atmosphère extrêmement malsaine », commente Youssef, le fonctionnaire de la région Nord.

« Nous sommes le fonds de commerce des politiciens »

Concernant Ahmed, professeur d'université, il a fallu huit longues années « d'incidents, petits et grands, contre la communauté musulmane », estime-t-il, pour envisager de quitter la France. Entre 2015 et 2023, les « attaques » se sont multipliées, déplore-t-il. « Le malaise et l'inquiétude ne cessent de croître en raison des discours et des débats politico-médiatiques qui cherchent inlassablement à stigmatiser les musulmans », résume Hanan Ben Rhouma.

Qu'ils soient d'accord ou non avec certaines politiques institutionnelles, ils soulignent un sentiment d'accumulation qui alimente leur malaise. Ils énumèrent, sans ordre précis : l'essor du vocabulaire haineuse envers les musulmans et la diaspora Maghrébine dans le débat public - « grand remplacement », « séparatisme », « zones de non-France » - ; la présence omniprésente des discours antimusulmans dans certains médias, en particulier les chaînes d'information en continu ; en 2021, la loi sur le « séparatisme » ; la dissolution, en 2020, du Collectif contre l'islamophobie en France ; les polémiques récurrentes sur le port du voile ou du burkini ; à la rentrée 2023, l'interdiction de l'abaya et du qamis dans les établissements scolaires ; les fermetures de mosquées ; la perception, à leurs yeux, d'une diminution de l'engagement politique contre les discriminations ; l'interdiction par la Fédération française de football des pauses pendant les matchs pour rompre le jeûne pendant le ramadan ; les attaques, en décembre 2023, contre l'école Averroès, seul établissement privé musulman sous contrat en France,etc.

« Cela semble interminable. Nous sommes devenus un enjeu politique et médiatique », constate Ahmed. Ayant vécu dans un milieu populaire en banlieue et réussi à changer de classe sociale, il avait toujours rejeté les discours communautaire de ses amis d'enfance, qu'ils considéraient comme étant des discours victimaires, persuadé que « la République nous offrirait tout si nous le voulions, mais aujourd'hui, je souscris entièrement à leur point de vue. »

L'adolescent qui s'entraînait devant son miroir à dire le mot « absolument » parce qu'il le trouvait « chic et sophistiqué » est maintenant furieux et encourage ses étudiants à quitter la France pour obtenir « la vie et la carrière qu'ils méritent ».

« La France est en train de perdre beaucoup de talents qu’elle a formés. », souffle Youssef, le fonctionnaire du Nord.

La diaspora doit croire en elle

Dans cette période où un nombre croissant de membres de la diaspora Maghrébine envisagent de quitter la France face à un environnement de plus en plus hostile envers les Musulmans, il est impératif de prendre du recul et d'évaluer toutes les possibilités qui s'offrent à nous.

La diaspora doit considérer son potentiel collectif et investir dans des initiatives communautaires qui favorisent le développement tant individuel que collectif.

Il est important de reconnaître que les Maghrébins qui ont la capacité de partir dans leur pays d'origine ne doivent pas hésiter à envisager cette possibilité. Tout en comprenant les défis et les difficultés qui peuvent accompagner un tel choix, il est essentiel de considérer les opportunités et les avantages qu'il peut offrir. En retournant dans nos pays d'origine, nous avons l'opportunité de contribuer au développement et au progrès de nos communautés, vivre en harmonie avec notre foi tout en renforçant notre propre connexion à nos racines culturelles et à notre identité. Ceux d'entre nous qui ont les moyens de le faire peuvent jouer un rôle significatif dans la construction et contribution d'un avenir meilleur pour nos nations d'origine, à notre échelle.

Investir dans nos pays d'origine ne consiste pas seulement à y retourner physiquement, mais aussi à contribuer à leur développement économique, social et culturel. En mettant en commun nos compétences, nos expériences et nos ressources, nous pouvons catalyser des changements positifs et durables dans nos communautés d'origine. Cela peut se traduire par des initiatives entrepreneuriales, des projets éducatifs, des programmes de développement communautaire et bien d'autres formes d'engagement.

En outre, nous devons également reconnaître les bénéfices potentiels d'un tel engagement. Non seulement cela peut avoir un impact positif sur nos communautés d'origine, mais cela peut également renforcer notre propre sentiment d'identité et de connexion à nos racines. En investissant dans nos pays d'origine, nous contribuons à construire un avenir plus prometteur pour les générations futures, tout en honorant notre héritage et notre culture.

Il est très important de prendre en compte que de nombreux membres de la diaspora ne peuvent pour un tas de raisons, quitter leur pays de résidence. Toutefois, nous pensons qu'il est capital de comprendre qu'une cohésion et une entraide communautaire au sein de vos pays de résidence, permettra à tous de s'élever socialement.

En fin de compte, la décision de rester ou de partir est une décision personnelle qui dépend de nombreux facteurs individuels.

Cependant, il est crucial de ne pas se laisser emporter par le sentiment de victimisation ou le désespoir. Au contraire, nous devons puiser dans notre résilience et notre entraide communautaire pour s'élever socialement, tant pour nous-mêmes que
pour les générations à venir. En unissant nos forces et en mettant en valeur notre potentiel collectif, nous pourrons surmonter aisément les barrières qui se dressent devant nous et n'aurons besoin de personne.